
À toi, mon héros
Ce texte s’adresse à toi. Toi, ce chevalier des temps modernes, ce gladiateur du XXIème siècle. Je te dédie ces quelques phrases, un humble amas de mots futiles à ta grandeur, en espérant ne pas l’entacher par si dérisoire hommage.
Toi, qui, malheureusement, ne te reconnaîtras probablement pas. Toi, cet homme qui sait encore incarner la masculinité. L’épilation laser et la crème anti-rides l’écornent chaque jour un peu plus, mais tant que tu existes, le sexe fort aura son digne représentant, bardé de morgue et de suffisance affichée. J’ai eu, hier soir, l’occasion, ou la chance, de brièvement croiser ta route; comment t’oublier ?
Heureusement, j’ai quelque expérience, somme de leçons apprises et enseignées par l’échec ou la gifle. L’une d’elle, l’humilité, se travaille tous les jours. Connaître sa place en ce bas-monde, savoir y rester sans lever la tête ou élever la voix. Hier au soir, te voir franchir la porte du bar, à la suite de ces trois jolies femmes apprêtées, était une invitation. Je l’ai reçu, l’ai comprise. L’effacement sera donc de mise.
Tu étais donc là, fier et viril, admirant à tes alentours l’effet produit sur la plèbe par ces trois naïades, où plus exactement, par ton entrée à leur suite. Noble orgueil qui se nourrit de la déception des autres, morgue justifiée qui naît de la jalousie d’autrui. Tu jauges, du haut de ton destrier, la piétaille. Et pendant que ta compagnie glousse, hésite et cherches une contenance à ta mesure, tu te diriges, de ce pas assuré qui te défini, vers le bar. L’embarras, ou même le doute, sont des notions qui te sont inconnues, toi le héros de ces dames, ce mâle ferme et résolu. Le seul regret alors, dont tu ne sens pourtant pas les remords : qu’il en soit de même de la politesse.
– « pinte d’HK »
Et de l’élégance.
Alors, quelques minutes après, lorsque réellement à ton aise en terrain conquis, te voici, gouailleur et faraud, m’interpellant, comme mes collègues du CM2, d’un réducteur surnom évoquant une proéminence physique, c’est le respect que je viens ajouter à la liste de ton ignorance.
Je te regarde, et je vois que bouffi d’amour propre et de présomption, tu ne doutes pas. Jamais. Ainsi tu ne peux pas imaginer les efforts derrière mes sourires, l’étendue du contrôle sur moi derrière mon calme, le courage de ma bonne humeur. Tu crois être irrésistible. Tu ne penses pas, à l’inverse, tout ce qui me vient à l’esprit lorsque nos yeux se croisent. Toi, rayonnant, tu vis dans un monde où le barman te regardes car tu irradies le lieu de ta présence d’homme, de ton charisme.
Hier, pour la première fois, après toutes ces années tissées de services, je me suis fait une raison. Au lieu de t’ouvrir les yeux, ou l’arcade, je préfère te laisser t’aveugler à petit feu, à l’éclat de ta propre lumière. Non pas par compassion, mais bien pour sauver le rire, épargner l’humour. Car plus rude sera la chute, plus profonde sera l’entaille de l’incompréhension, et plus petite sera la grotte qui te sert de monde. Je pense ceci, et te souris d’autant plus, étrangement patient, lorsque de très très haut, du sommet de ton dédain, tu te fourvoies d’un air magnifique en tentant de m’apprendre les rudiments de ma profession, en tentant d’impressionner une galerie qui, à part moi, ne te regardes pas.
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Dur, dur, la maîtrise de soi et la sérénité affichée. Bisous. V. >